Quand Coca et Pepsi s’intéressent à la politique soudanaise

Les dernières attaques de rebelles, à 100 kilomètres de la plus grande région d’exportation de gomme arabique au monde, inquiètent les multinationales.

 

Au Soudan, les rebelles en lutte contre les forces de Khartoum sont de plus en plus offensifs. Fin avril, ils ont étendu leur emprise sur El-Obeïd, une petite bourgade soudanaise comme les autres, à un détail près… cette ville est devenue la capitale mondiale de la gomme arabique.

Les rebelles du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) ont mené un raid surprise pour s’emparer d’Oum Rawaba, au Kordofan du Nord. Une ville située à seulement 100 kilomètres d’El-Obeïd. On comprend donc pourquoi les derniers événements politiques au Soudan ont certainement inquiété les directions de Coca-Cola et de Pepsi. 

Les deux groupes seraient les principaux destinataires des exportations soudanaises de gomme arabique. Mais ni l’un ni l’autre ne souhaitent dévoiler où il achète ses émulsifiants, sans doute en raison de la mauvaise publicité que leur feraient ces liens étroits avec un pays comme le Soudan.  
Fascinant produit que cette gomme arabique ! La longue chaîne mondialisée de nos échanges commerciaux révèle d’intéressants télescopages. Prenez par exemple le coltan : ce minerai – grâce auquel votre superbe smartphone flambant neuf fonctionne – est extrait dans des conditions inhumaines des mines clandestines du Congo.

La gomme arabique, elle, est un exsudat de sève, produit par certaines espèces d’acacia qui, pour la plupart, poussent au Soudan. Une fois séché et réduit en poudre, l’exsudat de sève sert d’émulsifiant alimentaire. La gomme arabique est à la base de toute une série de produits comme le chewing-gum ou certains médicaments. Mais c’est de loin dans les boissons gazeuses qu’elle est le plus utilisée : elle sert de liant entre le sucre et l’eau ; sans elle, le sucre décanterait et irait s’entasser au fond de nos cannettes. 

S’il est difficile d’obtenir des chiffres précis, le Soudan produit entre 40 et 70 % de la consommation mondiale de gomme arabique, et l’essentiel de ce produit d’exportation provient ou passe par la petite ville poussiéreuse d’El-Obeïd, dans l’Etat du Kordofan du Nord. L’exsudat de la sève d’acacia est aussi produit dans d’autres pays, comme le Tchad et l’Erythrée, mais la plupart sont tout aussi instables que le Soudan. Par ailleurs, la sève y est d’une moins bonne qualité.  
Un ingrédient essentiel pour les produits les plus lucratifs du monde
En 1997 déjà, les parlementaires du Congrès des Etats-Unis étaient particulièrement mécontents à l’égard du gouvernement soudanais, l’accusant de soutenir le terrorisme et de persécuter les minorités religieuses. Le problème de fond est simple : le Soudan a offert refuge à Oussama Ben Laden qui, déjà à l’époque, n’était pas en odeur de sainteté. Le Congrès américain décide alors de sévir en adoptant une série de mesures drastiques pour limiter sévèrement les échanges commerciaux du Soudan et freiner son économie. 

Cependant, avant que ces sanctions économiques ne soient formellement adoptées, des lobbyistes, inquiets, représentant quelques-unes des plus grandes entreprises américaines, se sont battus pour imposer une exception, et une seule. Et comme c’est souvent le cas pour les lobbyistes, ils ont obtenu gain de cause : l’embargo s’appliquera à tout, sauf à cette résine dure et translucide, appelée gomme arabique. Le Soudan pourra continuer à en exporter autant qu’il veut.
Quelle ironie ! C’est d’un coin perdu et aride d’un pays dysfonctionnel et sapé par la misère que provient un ingrédient sans lequel la fabrication de l’un des produits les plus célèbres et les plus lucratifs du monde serait impossible (ou en tout cas beaucoup plus chère). Fin avril donc, les attaques rebelles dans l’Etat du Kordofan du Nord étaient surprenantes. Elles sont importantes pour deux raisons. D’abord, le MJE ne s’attaque plus seulement au Darfour, la zone d’attaques habituelle. Ils osent désormais déborder sur toute la région, à la surprise de tous. Ensuite, le MJE a mené cette offensive sous la bannière du Front révolutionnaire soudanais (FRS), une coalition militaire réunissant plusieurs groupes rebelles issus de différentes régions du Soudan. 

Ce n’est certes pas la première opération conduite sous l’égide du FRS, mais c’est l’une des plus réussies. On peut voir dans l’attaque d’Oum Rawaba une première tentative pour unifier des groupes rebelles isolés et le transformer en un conflit plus généralisé contre Khartoum. “Je pense que le raid a été programmé par les rebelles dans la foulée pour faire comprendre à l’Etat qu’ils étaient capables d’étendre leur lutte à d’autres régions”, a ainsi déclaré au New York Times l’éditorialiste soudanais Abd al-Latif al-Bony. 

Il n’aura pas fallu longtemps à l’armée soudanaise pour s’organiser et repousser les rebelles. Ils auraient été chassés d’Oum Rawaba peu de temps après leur arrivée. Mais le gouvernement soudanais a compris le message : la rébellion a gagné le Kordofan du Nord. Et du côté des grandes multinationales de l’agroalimentaire comme Coca-Cola et Pepsi, on s’inquiète déjà.

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